Noms indéterminés et pseudo noms propres
Observez les exemples suivants : |
|
|
Les enfants aiment jouer. |
|
|
L’enfant joue dans le sable. |
|
|
Il a tiré sur la personne. |
|
|
Que pouvez-vous dire du référent de morow ‘enfant’ et de celui de ngom ‘être humain, personne’ dans chacune des phrases ci-dessus ? Est-il question d’un enfant en particulier, ou de n’importe quel enfant ? D’une personne en particulier, ou de n’importe qui ? Est-il seul ou sont-ils plusieurs ?
|
|
Réponse |
• Parmi les types de mots qui occupent une fonction actancielle (sujet, objet, compléments indirects), on trouve des noms communs sans déterminant. Un nom commun sans déterminant peut fonctionner de deux manières très différentes.
Morow thu eleda. |
Les enfants aiment jouer. |
Bone ci kup’a ngom. |
Il tire sur les gens. |
Dans deux phrases ci-dessus, morow ‘enfant’ et ngom ‘être humain’ n’ont pas de référent précis. Ils ne réfèrent pas à un ou plusieurs enfants en particulier, ou à une ou plusieurs personnes en particulier, mais ils renvoient potentiellement à toute la classe des enfants et à toute la classe des êtres humains. Nous dirons dans ce cas que le nom commun est indéterminé (ou non référentiel).
• Dans d’autres contextes, au contraire, un nom commun sans déterminant peut désigner un être spécifique et parfaitement identifié.
Morow ci eleda ri gunin. |
L’enfant joue dans le sable. |
Paulo hna kup’ani ngom. |
Paul a tiré sur la personne. |
Cette fois, morow et ngom désignent un enfant et une personne en particulier, parfaitement identifiés dans la situation d’énonciation. Ces deux termes se comportent cette fois comme un nom propre avec un référent unique connu des co-énonciateurs. La proximité avec les noms propres n’est pas que sémantique, elle est aussi syntaxique. On observe par exemple que ngom est précédé dans l’exemple ci-dessus d’un verbe à la forme personnelle : kup’ani. Nous dirons dans ce cas que morow et ngom fonctionnent comme des « pseudo noms propres ». Dans certains cas, en particulier lorsqu’il s’agit de noms d’animaux dans des récits, on peut écrire le pseudo nom propre avec une majuscule. Comparez :
Ci kaka waon kei adrai |
Les roussettes (en général) mangent les papayes. |
Ci ie du K’ete kei Adrai ko : « Ethew ha co hu. » |
Roussette dit à Poule sultane : « Allons-y. » |
|
|
|
Les adverbes
Observez les exemples suivants : |
|
|
Ils partent chacun de son côté. |
|
|
Ils partent précipitemment. |
|
|
Quel procédé permet d’apporter des nuances différentes dans ces phrases ?
|
|
Réponse |
Des adverbes peuvent accompagner le prédicat pour en modifier le sens. Certains se placent systématiquement avant le noyau lexical du prédicat (antéposés), d’autres après (postposés). Certains d’entre eux peuvent aussi modifier les actants. Vous avez déjà croisé [brown]joko[/brown] et [brown]t’e[/brown] à la leçon 13. En voici trois autres :
[brown]Da,[/brown] ’d’abord, en premier, avant tout’, postposé.
Bone ci se da. |
Il se baigne en premier ou Il se baigne d’abord. |
[brown]Di [/brown] ’ensuite, après’, postposé.
Inu di ! |
À mon tour ! (à la suite de quelqu’un d’autre) |
Bone ci se da, ase lo ci kodraru di. |
Il se baigne et (quand c’est fini) mange ensuite. |
[brown]Nidi,[/brown] qui est à rapprocher de [brown]nidin [/brown] ’centre’, renvoie au haut degré de la notion, à la valeur prototypique. On le traduira tantôt par ’vrai, vraiment’, ’très’, voire ’trop’. Il est antéposé aux mots qu’il détermine.
Bone kore nidi dok’u. |
C’est lui le vrai chef. |
Bone ci nidi kua. |
Il boit beaucoup (quantité). |
Bone nidi ci kua. |
Il boit beaucoup (fréquence). |
Nidi hma kore wata ni Paulo. |
Paul a de très grands pieds. |
|
|
|
L’objet coalescent
Observez les exemples suivants : |
|
Nina ci cumone yawe ore morow.
|
Nina garde à nouveau l’enfant. |
|
Nina ci cumo morowe yawe.
|
Nina fait à nouveau du baby-sitting. |
|
Nina ci cumone yawe o se morow.
|
Nina garde à nouveau un autre enfant. |
|
Nina ci cumone yawe ore morow.
|
Nina garde à nouveau l’enfant. |
|
|
Que remarquez-vous à propos de la place de l’objet et de l’adverbe yawe ?
|
|
Réponse |
Lorsque l’objet est un mot ou un groupe de mots introduits par les déterminants ore ou o, il est un constituant de la phrase parfaitement distinct du prédicat. Cette extériorité de l’objet par rapport au prédicat est révélée par la place de l’adverbe (lorsqu’il s’agit d’un adverbe postposé). Ce dernier est placé après le noyau lexical du prédicat et avant l’objet.
Nina ci cumone yawe ore morow. |
Nina garde à nouveau l’enfant. |
Nina ci cumone yawe o se morow. |
Nina garde à nouveau un autre enfant. |
Dans les autres cas, lorsque l’objet est un nom propre, un pseudo nom propre, un pronom personnel, un nom indéterminé ou toute autre groupe qui n’est pas précédé de ore ou o, on observe une coalescence entre le prédicat et son objet. Les modifieurs comme les adverbes ou les directionnels sont alors rejetés à droite de ce bloc insécable prédicat + objet.
Nina ci cumo Mishele yawe. |
Nina garde à nouveau Michel. |
Nina ci cumo bone yawe. |
Nina le garde à nouveau. |
Nina ci cumo morowe yawe. |
Nina fait à nouveau du baby-sitting. |
|
|
|
Pseudo noms propres en français
En français, mis à part dans quelques expressions figées (exemple : Pierre qui roule n’amasse pas mousse), les noms communs en fonction actant sont toujours précédés d’un déterminant. Par exemple, on ne pourra pas dire *Enfant joue sur la plage.
À l’inverse, comme le rappelle Alexandre François (2001), les noms propres du français peuvent fournir à eux seuls un actant, sans nécessiter de déterminant : Michel joue sur la plage.
L’auteur précise cependant qu’un petit nombre de noms communs du français, qu’il appelle « pseudo noms propres », se comporte en fait syntaxiquement comme des noms propres, essentiellement quelques noms de parenté. Par exemple : Quand maman part, bébé pleure ; Comment va grand-mère ? (mais on ne dira pas *Comment va mari ?).
Dans le discours, le français réserve ce mode de fonctionnement à un nombre limité de noms communs (essentiellement des termes de parenté), alors que le nengone l’étend à tous les noms communs qui réfèrent à des êtres animés ou à des entités inanimées fortement individualisées. Ce procédé, qui tend à personnifier les référents inanimés ou les animés non-humains, est parfois utilisé dans les contes traduits en français. Le pseudo nom propre prend alors une majuscule initiale et se passe de l’article (exemple : Poulpe demanda à Rat pourquoi il riait). |
Coalescence et incorporation de l’objet
Des phénomènes de coalescence entre l’objet et le verbe s’observent également en français. Gilbert Lazard (1994, p. 16) rappelle à ce propos que des locutions verbales comme prendre feu, porter plainte, tirer bénéfice, etc., « manifestent […] un certain degré de coalescence : le nom n’a pas d’article, ne peut avoir de déterminant et il ne peut guère être séparé du verbe que par certains adverbes ». Cette coalescence peut aller jusqu’à l’incorporation totale de l’objet qui forme alors avec le verbe un mot composé. C’est ce procédé, employé dans un état ancien du français, qui a par exemple donné naissance à maintenir « tenir avec la main » et culbuter « buter sur le cul ».
En nengone, le mot [brown]ruac [/brown] ‘travailler’ résulte d’une incorporation de l’objet : [brown]ruè [/brown] ‘faire’ + [brown]acè [/brown] ‘chose’. Cette forme composée peut à son tour accepter un suffixe transitif :[brown] ruacon [/brown] ‘travailler sur qqch’. |
|
|