La place du sujet dans la phrase
Observez la place et la forme du sujet (en italiques) dans les exemples nengone suivants : |
|
|
Ceci près de moi, qu’est-ce que c’est ? |
|
|
Qu’est-ce que c’est, ceci près de moi ? |
|
|
Cela près de toi, c’est un sac. |
|
|
C’est un sac, cela près de toi. |
|
Bone ci yenon ore p’ene nengone.
|
Ci yenon ore p’ene nengone ke bon.
|
|
Quelles conclusions pouvez-vous en tirer sur la place du sujet dans la phrase nengone ?
|
 |
Réponse |
Dans la phrase simple nengone, le sujet peut être placé soit avant le prédicat, soit après le prédicat. Lorsqu’il est placé après le prédicat, il est nécessairement introduit par une marque sujet en k- (ko, kore, ke, kei).
Ore morow |
<ci thaet>. |
 |
<Ci thaet>. |
k- |
ore morow. |
Sujet |
Predicat |
|
Predicat |
k- |
Sujet |
’L’enfant (SUJET) dort (PREDICAT).’
La marque sujet en k- présente plusieurs variantes selon la nature du mot ou groupe de mots qu’il introduit. On emploie :
ke devant les pronoms personnels (exemple : ke bon) ;
kei devant les noms propres (exemple : kei Riko) ;
ko devant les déictiques et les directionnels (exemple : ko om) ;
kore lorsque k- se combine à l’article ore (exemple : kore morow).
La modification de la place du sujet n’a généralement pas d’incidence sur le sens global de la phrase. En revanche, elle correspond à une organisation différente de l’information, avec une mise en valeur plus ou moins grande, tantôt du sujet, tantôt de l’objet, tantôt du prédicat. |
|
|
Parler de soi-même avec un terme d’adresse
Dans le dialogue, Riko, l’oncle de Nina, s’adresse à elle et lui dit : |
|
Bo co k’onek’atu Hmi i t’ot’o !
|
Tu vas aider Tonton au champ ! |
|
|
À qui renvoie Hmi ‘Tonton’ dans cette phrase ?
|
 |
Réponse |
Avec Hmi ‘Tonton’, Riko ici se désigne lui-même. En effet, lorsqu’une personne s’adresse à un enfant ou à un proche plus jeune qu’elle, il est très fréquent qu’elle utilise le terme d’adresse qui lui correspond pour parler d’elle-même, plutôt que le pronom inu.
Un père s’adressant à son enfant :
K’anu Caca ! ‘Donne (ça) à Papa !’,
plutôt que K’anu in ! ‘Donne-moi (ça) !’
Une mère à son enfant :
Bo co thaet ne Nene ? ‘Tu vas dormir avec Maman ?’
plutôt que Bo co thaet ne in ? ‘Tu vas dormir avec moi ?’ |
|
|
La coordination avec ne, ka et ke
Nous avons vu que ne permet de relier deux constituants dans une même proposition. Ces constituants coordonnés au sein de la proposition peuvent être soit des actants soit des prédicats.
-
|
Paulo ne Maria ci era. ’Paul et Maria chantent.’ |
-
|
Paulo ci era ne Maria. ’Paul chante avec Maria.’ |
-
|
Nina ci k’odraruo wakoko ne waud.
’Nina mange de l’igname et du taro.’ |
-
|
Inu ci waam ne ci sibo buhnij.
Littéralement, ’Je me fait petit en vous (le) demandant.’
(= ’Je vous le demande humblement.’) |
La conjonction ne peut aussi avoir une valeur suspensive, énumérative, avec le sens de ’etc.’, ou exprimer un collectif (X ne ’X et compagnie, X et les siens’).
-
|
Paulo ne ha hu. |
|
’Paul et les siens sont partis.’ |
En revanche, ka et ke coordonnent deux propositions différentes :
Ka ’et, puis, ensuite, donc’ a un sens cumulatif.
-
|
Paulo ci eleda gitar ka Maria ci era. |
|
’Paul joue de la guitare et Maria chante.’ |
Ke ’mais, tandis que’ exprime le contraste.
-
|
Ehnij co hue i cele ke bo co hne i hnameneng. |
|
’Nous irons à la mer tandis que tu resteras à la maison.’ |
-
|
Inu ci uedr ke ci hue ko co ruac. |
|
’Je suis malade et pourtant je vais toujours au travail.’ |
|
|
|
|
L’ordre des mots dans la phrase
L’ordre préférentiel des constituants dans la phrase déclarative simple française est : Sujet–Verbe–Objet. Mais cet ordre n’est absolument pas universel. Les exemples qui suivent illustrent la variabilité de l’ordre des constituants dans la phrase selon les langues. Les trois phrases en ajië (langue kanak de la région de Houaïlou en Nouvelle-Calédonie), en tahitien (langue polynésienne des îles de la Société en Polynésie française) et en japonais, traduisent la première phrase en français. La mise en forme suffit à identifier les principaux groupes dans chaque langue et leur traduction approximative.
français : |
L’oiseau |
a mangé |
le poisson. |
ajië : |
Na wê öi |
éwâ |
na mürü. |
tahitien : |
Ua àmu |
te manu |
i te ià.
|
japonais : |
Tori ga |
sakana o |
tabemashita |
Sans entrer dans une analyse plus fine qui permettrait de comparer les constituants de chaque langue, on peut déjà conclure que face à l’ordre canonique Sujet-Verbe-Objet du français, on trouve les agencements Verbe-Objet-Sujet en ajië, Verbe-Sujet-Objet en tahitien et Sujet-Objet-Verbe en japonais. Cette simple observation permet de souligner à nouveau que chaque langue répond à ses propres conventions et que l’ordre que l’on observe en français n’est ni universel, ni « naturel ». La linguistique typologique nous apprend d’ailleurs que l’ordre le plus fréquent dans les langues du monde est Sujet-Objet-Verbe ; on le trouve par exemple en japonais, en turc et en coréen. Ce type de comparaisons empiriques immédiates permet aux apprenants de se départir progressivement d’une certaine idéologie glottocentrique qui conduit un locuteur, surtout lorsque sa langue est en situation institutionnelle dominante, à considérer cette dernière comme le parangon de toutes les autres. L’ordre des constituants dans les langues ci-dessus n’est pas « à l’envers » de celui du français, il est simplement différent. Chaque nouvelle langue apprise imposera un ordre particulier, parfois identique, parfois divergent, de la langue d’origine de l’apprenant. Prendre conscience de ce phénomène grâce à l’observation comparative permet d’y être davantage attentif. |
|
|